Je me surprends parfois les jours de vent en poupe à entasser mes envies comme une pile de biscuits… des biscuits encore chauds du goûter de sortie d’école, de mercredis après-midi…
Les menus jaillissent sans que je n’y puisse grand chose… ma gourmandise se jette à l’extérieur et me renvoie en image tout ce qui me ferait plaisir de manger, tout ce qui me ferait plaisir de vous cuisiner. Je vois les entrées qui ouvrent l’appétit… les plats fumant, distillant du fourneau à la table un avant-goût de plaisir… les accompagnements épouser leur viande… les sauces accompagner si généreusement ces épousailles que le pain s’en laisse tremper pour étirer le goût du plat que l’on vient de terminer.
Petite je n’aimais rien… je mangeais au compte-goutte… et me rassasiais de miettes… Aujourd’hui tout ce que je n’aimais pas est devenu ce que je préfère… et il y a tant de choses !
On entrait dans la cuisine de ma tante Lydia comme chez un parfumeur … elle était saturée d’arômes de cannelle et de cumin ordonnés dans les petits tiroirs en verre du grand buffet en bois. Je sens encore son boeuf en cocotte qui ne s’arrêtait plus de cuire… et ses carottes confites qui fondaient rien qu’en les regardant. Elle nous faisait croquer dans les oranges comme dans des pommes amères, on grimaçait… elle riait.
L’été mon grand-père préparait la pâte à poisson, appât fromager collant à l’hameçon… elle était belle la pêche de mon grand-père dans son panier de pêche en travers du poitrail… je revois les petits poissons à soupe éventrés dans l’évier… ma grand-mère qui s’emballait les cheveux, parce que le parfum des oignons cuits reste dans les cheveux et ne s’en va plus jamais jusqu’au prochain shampoing… sa moulinette à soupe hérissée d’arêtes… elle s’énervait à décoincer tout ça… « C’est bien pour vous faire plaisir ! ». Ses doigts qui disparaissaient dans la pâte brisée… et sa tarte aux figues qui se brisait dans nos doigts… les canards dans son café… les oiseaux par la fenêtre dans le grand cerisier. Et les mains de ma mère noircies par la gelée de mûres passée dans un torchon fin pour y piéger les grains… Les frites de mon père dans des cornets en papier de machine à écrire pour regarder les films à la télé…
Mes menus sont mes souvenirs… je redeviens petite… j’écris les menus… je vous raconte mon histoire de chapitre en chapitre, de menu en menu je vous cuisine ma vie.

Jane